De l’isolement et la vengeance: Michael Kohlhaas (Arnaud des Pallières, 2013) et First blood (Ted Kotcheff, 1982).
Peu de choses rapprochent à première vue le dernier film en date du réalisateur français Arnaud des Pallières, cantonné jusqu’alors à un cinéma plutôt intellectuel voire cloisonné, et un film américain plus ancien, First Blood réalisé par Ted Kotcheff, transformé petit à petit en symbole qui dévorera le message premier qu’il véhiculait lors de sa sortie.
Michael Kohlhaas, un film d’Arnaud des Pallières (2013)
Cévennes, Sud de la France, 16ème siècle, Michael Kohlhaas est éleveur de chevaux, mari aimant, aimé en retour, également père heureux.
Sa destinée va fortement s’assombrir quand, se rendant à une foire aux chevaux, il est abusé par un jeune noble qui blesse grièvement son valet et martyrise ses animaux.
Alors victime d’un déni de justice, sa plainte se perdant dans les méandres du népotisme, l’homme n’en démord pas et décide de se rendre auprès de la princesse de la région afin d’obtenir audience et bonne réception de sa plainte. Judith, sa femme, tente de l’en dissuader et part à sa place, elle y perdra accidentellement la vie, victime de la brutalité d’un garde.
Commence alors une vendetta qui se transformera petit à petit en guerre, réduisant la région en cendres et faisant trembler sur ses bases le pouvoir en place.
Arnaud des Pallières était désireux d’adapter le texte du romantique allemand Heinrich von Kleist depuis 25 ans! Preuve, s’il en est, que l’obstination, parfois, paye. Des Pallières signe ici un beau film, pourvu d’images souvent sombres, mais nanties de belles couleurs et à la photographie mystérieuse parfois sertie de clair-obscur tout à fait délicieux au regard.
Le casting est doté d’une très belle distribution, on sent que le moindre figurant a été longuement casté.
Les lieux, simples et épurés, sont un parfait écrin pour le récit fortement empreint de drame que nous conte le réalisateur.
Le film laisse apprécier de beaux chevaux, et quantité d’autres choses également très esthétiques, mais aussi une chose beaucoup plus rare au sein du cinéma français: un mixage audible, surtout inventif et efficace, qui sert souvent à merveille les intensions dramatiques du récit.
La forme est donc maitrisée, des Pallières ayant fait le choix d’un certain minimalisme, d’autres affirmeraient pourtant ascétisme. Le découpage est en tout cas simple mais d’une efficacité redoutable, se concentrant avant tout sur les émotions souvent fortes des protagonistes qu’il accompagne, comme en résulte la multitude de gros plans sur les différents personnages du film, véritable album de « gueules ». Loin d’être pour autant statique, le découpage propose donc certains mouvements de caméras qui soulignent à merveille les intensions des personnages, comme c’est le cas du panoramique qui accompagne la princesse en train de se relever après avoir parlé avec la fille de Kohlhaas, lors de leur première rencontre.
La réalisation sait aussi tirer sa puissance des décors naturels dans ce qu’ils peuvent avoir de plus sauvage, laissant éclater une beauté qui se mélange donc à merveille avec la violence des émotions des personnages.
L’obscurité caractérise souvent la mise en scène, notamment lors de la prise du château du Junker von Tronka, où le chaos de la guerre à l’épée et à l’arbalète altère toute perception visuelle, impression renforcée par un montage très cut qui ne laisse aucune possibilité visuelle à l’action physique pour se développer à l’écran. Nous sommes donc là aux antipodes du cinéma d’action, et c’est ce qui rend Michael Kohlhaas unique en son genre pour ce qui est des questions de représentation de la violence et de l’action au cinéma.
Même si la narration et l’image sont parfois gênées par d’énervantes micro-ellipses passant parfois davantage pour des faux-raccords, le film de des Pallières reste emplit d’une beauté sauvage et entière. L’ensemble renvoie évidemment de façon lointaine au guerrier de Valhalla rising, cela s’expliquant évidemment par la présence de Mads Mikkelsen au casting. Mais il n’est pas du tout sur, après tout, que des Pallières ait visionné la filmographie de Nicolas Winding Refn.
La musique, à l’orchestration sobre et discrète, se fait rare tout au long du film, mais apporte une tension dramatique supplémentaire chaque fois qu’elle se fait entendre, et elle apparait en général au bon moment… L’introduction du film accompagnée ainsi par des tambours à la fois martiaux et discrets aurait été beaucoup moins forte sans cette utilisation de ce type de musique. La composition bipartite, formée à la fois par l’orchestre baroque de Les witches et les sons électroniques de Martin Wheeler, propose donc un panel éclectique de musiques, alliant BO et véritables partitions d’époques, forme une bande son très travaillée et transforme le film en odyssée sonore des plus agréables à écouter.
Le casting compte donc quelques perles, Christian Chaussex en est une. Campant parfaitement un régisseur suintant la brutalité dans le moindre de ses gestes, jouissant de sa position de nervis des puissants, il connaitra une fin amplement méritée, à la mesure de l’existence qu’il a mené…
Jouant une princesse manipulatrice, Roxane Duran livre également une superbe prestation en femme de pouvoir machiavélienne, au sens premier du terme, tant sa définition du pouvoir, mélangeant amour et crainte que l’on inspire se rapproche du virtu et fortuna du Prince. La séquence où elle apparaît pour la première fois étant de plus fortement teintée d’érotisme, quand elle surprend Kohlhaas cul nu dans son bain, on sent alors un désir certain chez cette femme, désir feint pour mieux gagner la confiance? Quelques soient ses motivations profondes, le personnage dépeint de la sorte demeure également une grande force du film.
Ce métrage est le résultat d’un long travail, que chaque élément qui le compose semble être le fruit d’une longue et mure réflexion. L’improvisation ne semble pas avoir eu sa place dans Michael Kohlhaas… On ne peut donc que saluer le travail, le sérieux et l’application du réalisateur sur ce film.
Qu’en est-il pour le passage du texte au film ?
Des Pallières entretient un rapport apparemment fidèle et profond avec la nouvelle de Kleist, s’ensuit donc un travail d’adaptation équivoque, où nous retrouvons un récit constitué d’une alternance entre perdition et attente dans les méandres du droit et ses turpitudes, puis pillages et actes de guerre, eux aussi morcelés de moments d’attentes, comme au sein de toute guerre… Mais le récit se concentre ici davantage sur l’essence du travail de Kleist, à savoir l’injustice. Fusions et créations de personnages par rapport au texte original entrainent des modifications conséquences, là où le texte de Kleist s’épanche plus volontiers en intrigues et en personnages secondaires.
Là où dans la nouvelle, Kohlhaas n’a que des fils, le récit ne nous les introduit pas. Lisbeth, l’épouse dans le livre de Kleist, devient donc ici la fille de Kohlhaas dans l’adaptation cinématographique. Lisbeth constitue un rempart affectif et moral face aux épreuves que son père endure, confrontant ainsi ce dernier avec des questions bien adultes pour une jeune enfant. Regard d’une enfant inquiète pour un père qu’elle aime, Lisbeth semble être le point de vue moral et très interrogateur quand aux actions de son géniteur, et abandonnera d’ailleurs ce dernier au moment de son exécution. Preuve peut-être qu’elle ne cautionne au final nullement ses actes ?
L’histoire connaît également des modifications d’un autre type, nous quittons la Saxe germanique pour le sud de la France, les scènes de batailles et de pillage sont réduites au minimum, sans doute pour des questions de budget, filmer la destruction de Leipzig reconstituée pour l’occasion coutant certainement quelque argent… Mais malgré les libertés, ou les obligations, le cinéaste reste grandement fidèle à l’esprit de la nouvelle de Kleist, la trame narrative du film effaçant les pérégrinations diverses des personnages principaux quand celles-ci s’étalent sur plusieurs années, pour se concentrer sur un récit beaucoup plus direct et nerveux, sans vraiment de temps morts.
Des Pallières a donc réussit son adaptation, mais un détail permet pourtant de formuler quelques interrogations…
Car si la dimension politique est équitablement représentée dans le livre et le film, la dimension mystique, et plus précisément angélique est bien moins représentée. Alors que cette dernière caractérise si bien de l’œuvre de Kleist, ce dernier rêvant au seuil de sa mort de « survoler les paysages célestes une paire d’ailes dans le dos », allant même à affubler son héros du même nom que l’un des trois archanges du Ciel, la dimension spirituelle et angélique du film reste en comparaison étrangement absente par rapport à la nouvelle.
En effet, là où dans le livre, Kohlhaas se considère comme « un lieutenant de l’archange saint Michel, venu pour châtier par le fer et le feu, sur tous ceux qui, dans ce conflit, se rangeraient au parti du Junker, la perversité où le monde entier était plongé », se nommant également « seigneur libéré de l’Empire et du monde, soumis à Dieu seul », la dimension religieuse et spirituelle du personnage principal se retrouve ici réduite à une simple rencontre entre Kohlhaas et un Luther réprimandeur.
Ce dernier se montre simplement soucieux de ramener le marchand de chevaux sur le chemin de la paix sociale et, à l’inverse de la nouvelle, refusera de lui accorder pleinement l’absolution pour ses péchés… Que dire alors de cet épisode issu du texte et absent du film, lorsque le maquignon se décide ou non à incendier le couvent d’Erlabrunn et qu’un éclair vient frapper le sol à ses pieds, indice ou signe du refus d’un Dieu qui n’autorise pas Kohlhaas à détruire l’un de Ses lieux…
Une autre suppression d’un élément spirituel issu de la nouvelle se fait sentir: la diseuse de bonne aventure qui remet une amulette à Kohlhaas, censée le protéger. La vielle femme rappelait également à Kohlhaas sa défunte épouse, proposant ainsi une part de destinée, une dimension fantasmagorique, comme si sa femme se voyait étrangement réincarnée pour venir protéger son époux. C’est ainsi un aspect mystique de plus qui disparaît, ôtant encore un peu plus de magie à l’histoire et ramenant le film à une réalité plus prosaïquement politique et plus simple.
La dimension divine est donc incomparablement moins présente que dans le livre de Kleist, et la religion n’y est donc pas apparemment présentée sous son meilleur jour.
Quelles raisons peuvent expliquer ce choix ? Le choix d’une vision infiniment plus protestante que catholique ? Rationnelle, travailleuse, assidue, réfutant les Mystères et les Miracles ? La réponse se trouve peut-être dans le propre rapport que des Pallières entretient avec la religion et le monde spirituel…
Alors que le récit de Kleist flatte, lui, les qualités guerrières de l’éleveur de chevaux, dont la science de la guerre pourrait entrainer une comparaison avec un autre contemporain de Luther: Jean des bandes noires, tant ses tactiques de harcèlements, de guérilla, de surprises (attaques de nuit, déguisements, non respect de la trêve hivernale, usage d’armes à feu et d’explosifs) rappellent celles du jeune maître de guerre florentin ayant appris le métier des armes au sein des armées pontificales. Là où un certain cinéma pourrait facilement faire l’éloge de ces qualités guerrières, des Pallières fait une fois encore le choix de la sobriété, en ne s’épanchant pas plus que cela sur la dimension guerrière de son personnage, lui conférant donc une approche beaucoup plus humaine.
Là où dans le livre, la position morale de Kohlhaas reste discutable durant ses exactions, le film assoit le maquignon davantage une position vertueuse par le biais de la séquence où il fait pendre un de ses hommes s’étant adonné au vol. « Nous ne volons pas, nous n’acceptons pas de cadeau», le film étend davantage la dimension héroïque salvatrice et sociale du personnage, le transformant alors en héros, puis en martyr, là où le récit de Kleist nous laisse davantage l’occasion de nous questionner sur ses agissements, tant il laisse à ses adversaires l’occasion d’exprimer leurs propres points de vue et leurs propres problématiques face à « l’affaire » Kohlhaas.
Le récit de Kleist, lui, compte donc bien plus de circonvolutions juridiques, administratives et politiciennes dont Kohlhaas est le jouet, les frasques juridiques durent des mois voire des années, les décisions afférentes dépendant souvent d’une situation plus géopolitique que politique, les tensions évoquées avec la couronne de Pologne influant sur la situation des nobles auquel l’éleveur de chevaux s’adresse.
L’adaptation de des Pallières occulte donc également cette dimension, se concentre sur son personnage principal, en supprime beaucoup d’autres qui n’étaient que secondaires et gomme la dimension politique globale de l’œuvre, qui décrivait avec détails les protocoles judiciaires et politiques de l’Allemagne de l’époque.
Le film et le livre gardent pourtant la même vigueur en ce qui concerne le désir de justice de son personnage, preuve s’il en est qu’Arnaud des Pallières a ajusté correctement son adaptation. Adaptation totalement libre dans la transcription des personnages, de leurs noms, des lieux et de l’écoulement du temps qui passe, mais en même temps très fidèle au discours intrinsèque produit par cette histoire. L’adaptation de des Pallières ne pourrait être considérée comme une compilation des moments clés du texte de Kleist, mais cette compilation conserve donc l’essence du texte, sa fraicheur et sa force.
Aux innombrables questions que Michael Kohhaas pose déjà, le cinéaste ajoute la question suivante : « Comment un marchand respecté, mari aimant, père attentif, devient-il un véritable fanatique, pur corps porteur d’idée fixe ? Quelle puissance de mort se met soudain à l’œuvre chez ce paisible commerçant d’il y a cinq siècle ? Il y a malheureusement dans ces questions, l’essentiel de nos inquiétudes politiques pour le monde d’aujourd’hui ? »
La réponse semble à première vue simple: faites vous mépriser plus que de raison, voyez votre femme se faire assassiner et faites vous cracher au visage par la justice quand vous vous tournez vers elle pour réclamer réparation. Considérez ensuite les façons dont vous pourriez réagir à cela… Certes, « si tout le monde procédait de la sorte, il n’y aurait plus ni ordre, ni justice », mais fort heureusement, ce n’est pas tout le monde qui voit sa vie détruite et son besoin de justice refoulé, et sa vie encore plus détruite par cette même « justice »…
Le héros du film reste donc un personnage énigmatique alors même que nous restons souvent au plus près de ses émotions, cette apparente proximité mais qui n’amène au final qu’un mystère encore plus grand est une des autres grandes qualités de ce métrage. Et ce dernier repose tout entier sur le jeu magnétique, à la fois intériorisé et à fleur de peau de MadsMikkelsen, tant les motivations de son personnage semblent au final inintelligibles et profondément enfouies en lui. Des Pallières et son producteur sont allés jusqu’au Danemark pour rencontrer l’acteur, grand bien leur en a prit, car ce dernier est un excellent choix de casting et porte confortablement le film sur ses épaules, le Delon Danois étant un des acteurs les plus intelligents de sa génération concernant le choix des films qu’il décide de tourner.
Lorsqu’il est questionné à propos de sa vendetta, Michel Kohlhaas répond simplement « Je suis un homme de principe ». Mais de quels principes s’agit-il ? De la colère d’un veuf ? La vengeance d’un commerçant voyant son commerce mis en danger par la brutalité des autres ? Le poids économique et logistique d’un cheval étant, à l époque, considérable. D’un homme dont la puissance des aspirations spirituelles surprennent même les puissantes religieuses montantes de l’époque ? Quel principe peut-il pousser un homme à abandonner sa fille en bas âge ? Alors que celle-ci a déjà perdu sa mère. La volonté de connaître le martyr ? Ce thème joue effectivement un rôle central dans le christianisme, mais Kohlhaas est protestant. Une révolte par rapport aux conditions sociales de la paysannerie de l’époque ? Peu probable tant elle est peu évoquée dans le film et par Kohlhaas, une seule fois lorsque les nobles chevauchent en forêt. Une soif de justice que les us et coutumes de l’époque ne permettaient pas d’épancher ? Autant de questions potentiellement passionnantes que le film d’Arnaud des Palières nous propose de nous poser, longtemps encore après la vision du film.
Cette œuvre laisse effectivement au spectateur suffisamment de voies pour l’encourager dans sa propre réflexion à propos des thèmes qu’il aborde, et l’abandonne pourtant avec cette constatation: quand un homme doit faire face à un déni de justice, et qu’en plus cette dernière le méprise, peu importe les rivières de sang et les morts, il pourra alors tenter de connaitre réparation en se tournant vers la vengeance, l’étrange petite sœur illégitime de ladite justice… En fait-il alors un droit ? Ou même un devoir ? La réflexion reste ouverte. Autant de questions posées avec intelligence et humanité par le cinéaste.
Si les plaines de l’Europe du 15 et 16éme siècle ont peu à voir avec le passé récent des États-Unis d’Amérique, les deux films nous donnent pareillement à voir le parcours d’un homme à chaque fois isolé, abandonné et laissé seul face à la vindicte du monde des hommes et à la sauvagerie de la justice partiale d’un système barbare. Les arbalètes et les chevauchées sont abandonnées au profit du camouflage, des pièges et des M-60, aussi incroyable que cela paraissent, Michael Kohlhaas et First blood entretiennent donc une filiation tout aussi étrange que réelle.
First Blood, un film de Ted Kotcheff (1982)
Il est, au cinéma, de notoriété publique que la loi des suites et maintenant des franchises, obéissent à des règles strictes, en premier lieu économiques, dictature de la rentabilité oblige. Mais on ignore que les suites au cinéma ont parfois des incidences différentes et supplémentaires. La notion de suite et de continuité d’un récit filmique à travers divers épisodes étant par excellence l’apanage de la série, il est difficile de créer des suites de qualité équivalente au cinéma, à moins de s’y prendre à l’avance, comme c’est par exemple le cas des trilogies et autres sagas composées de plusieurs parties.
Mais il arrive également que la nature et la qualité des suites influe parfois de façon néfaste sur le film matriciel, modifiant profondément la nature intrinsèque de ce dernier. C’est le cas de First Blood, dont les deuxième et troisième opus respectifs, aussi indigestes que ridicules (message fin de rambo III), occultent totalement l’identité, le message et la nature du film d’origine. Car aujourd’hui, le nom de John Rambo symbolise quasiment à lui tout seul tous les clichés pompeux et imbéciles du film de guerre et de la représentation du soldat au cinéma.
Le premier opus de la franchise Rambo est pourtant un film d’une richesse certaine, et dont le discours sur la façon dont l’Amérique traite ses vétérans est toujours d’actualité, surtout si l’on se penche sur le nombre de suicides chez les vets d’Irak et d’Afghanistan… A en croire aussi les rumeurs autour de l’étrange destin du navy seals qui a retiré Oussama Ben Laden de la liste des vivants, collectant sa vie lors de l’opération Neptune spears, apparemment privé de toute pension et retraite en raison d’un nombre années de services insuffisants.
Ce métrage, malgré les apparences, est donc un regard plutôt réaliste sur le retour des boys au pays, le suicide et la dépression étant les causes de mortalités les plus élevées frappant les soldats américains. First Blood narre en effet une histoire assez simple, celle de John Rambo, ancien soldat qui rejoint une petite bourgade du fin fond des Etats-Unis à la recherche d’un camarade qu’il ne trouvera pas, en raison du décès de ce dernier apparemment dû aux conséquences de l’exposition à l’agent orange, ce type de défoliant fabriqué par Monsanto qui servait à faire frire les enne… à créer des zones défrichées en pleine jungle.
Manque de bol, notre Johnny se voit contraint de reprendre la route mais croise alors la route d’un flic abruti et imbu de sa personne qui lui interdit d’entrer dans sa ville, de cette rencontre naitront tous les enjeux du récit.
Rambo se voit alors placé en garde à vue, dans un commissariat remplit de flics tous aussi cons que bedonnants.
Ses traumatismes réveillés par les mauvais traitements infligés par les brutes en uniforme, notre Johnny retrouve donc bien vite ses réflexes de guerrier et s’enfuit du commissariat, non sans avoir apprit les rudiments de la politesse et du savoir vivre à ses tortionnaires, en utilisant pour cela ses compétences en matière de close-combat.
Le découpage scénaristique fonctionne principalement en deux parties. La première, nous montre un John Rambo perdu et bien vite malmené au sein d’un univers urbain auquel il semble peu acclimaté, dans lequel il n’a pas sa place et où il occupe rapidement la position de victime.
La suite est radicalement différente lorsque la poursuite se prolonge dans la forêt, où Rambo retrouve son élément et se transforme en prédateur implacable qui défait tous ses poursuivants à l’aide de camouflages et bobby traps sournois.
Le reste du film n’est que la montée en puissance d’une confrontation entre un homme traqué qui n’a pourtant rien à se reprocher et un petit chef complètement bouché, confrontation qui aboutira à la destruction d’une bonne partie de l’inhospitalière ville où Rambo aura eu le malheur de s’arrêter.
Le seul élément du film qui donne à l’armée des Etats-Unis d’Amérique une image un tant soit peu positive, à cause de la stature à la fois monolithique et paternaliste dégagée par le personnage du colonel Trautmann, interprété par Richard Crenna, qui signe là un de ses rôles les plus connus, y est évidemment pour quelque chose.
Le fameux-«colonneeeeeeleuh-Adrieeeeenneuh»-Trautmann tentera donc en vain de rétablir le contact avec « Raven ». Il n’arrivera pas à entrainer la reddition de son ancien soldat, faute d’une confiance suffisante de la part de ce dernier. Rambo finira donc les menottes aux poignets, même après une médiatisation importante de l’affaire.
Là où First Blood se révèle le plus intéressant, c’est dans son utilisation des codes du film de guerre américain, et la façon habile qu’il a de les détourner.
La séquence d’introduction en est le plus parfait exemple: notre personnage principal arrive de loin en arrière-plan, sa veste militaire portée sur des vêtements civils nous renseigne sur son passé et son parcours.
Le contre-champ nous dévoile une petite maison en bordure d’un lac, des enfants jouent, la partition de la musique originale vient renforcer le moment bucolique que constitue cette première séquence. Mais la direction dramatique de l’ouverture de First Blood change drastiquement lorsque notre héros apprend la mort de son ancien frère d’arme.
Dès lors, c’est une plongée dans la solitude et l’incertain qui attendent le personnage principal, point de retour au bercail donc, où l’attendraient famille et amis comme dans Deer Hunter de Michael Cimino. Ce détournement des codes du genre est incontestablement la grande qualité du film de Kotcheff.
Une filiation pourrait sans doute être observée également vis à vis de films plus antérieurs, comme par exemple, Johnny got his gun, autre grand film sur les conséquences de la guerre, et dont le héros de First Blood partage le prénom avec le héros amputé du film de Dalton Trumbo.
Mais au delà du pensum sur le stress post-traumatique, qui n’était à l’époque pas encore aussi médiatisé, c’est avant tout de solitude dont il est question ici.
Là où le héros de Kleist se retrouve malgré tout entourés de proches inquiets pour lui et de guerriers l’accompagnant dans sa vendetta, John Rambo n’a, lui, âme qui vive avec qui vivre et à qui se confier, solitude donc encore plus brutale, car totale et complètement imposée. First Blood est en fin de compte davantage un film sur la solitude qu’un post war movie, tant celle à laquelle est confronté son héros est continue, implacable, presque définitive. D’où le déchainement de violence qui caractérise le film car, nous le savons déjà, la souffrance, mêlée à la solitude et à l’indifférence n’est rien d’autre que le meilleur cocktail pour perdre son humanité…
A travers les époques et les lieux, la solitude, la souffrance et l’injustice restent les mères de la mort et de bien des guerres, voici une certitude que nous aurions tendance à oublier à notre époque… Les grands drames naissent donc de la souffrance, de l’indifférence et du mépris, mais surtout du déni de justice. Cela aussi, nous aurions tendance à l’oublier, hélas… Car nous oublions également que l’injustice, dans certains cas, fait tellement souffrir que les arbalètes et les fusils mitrailleurs resteront toujours une solution en cas de déni de justice.
La vengeance a donc de très beaux jours devant elle, il ne faut pas en douter un seul instant… Cela aussi est peut-être une certitude supplémentaire, puisque paraît-il « en vieillissant, on s’aperçoit que la vengeance est encore la forme la plus sûre de la justice. » Le cinéma a donc encore de beaux jours devant lui, heureusement.
Ainsi soit-il.